Homélie du dimanche de la fête Dieu 23 juin 2019

La multiplication des cinq pains et des deux poissons est bien sûr préfiguration de l’Eucharistie mais aussi expérience d’intimité avec le Christ pour les 5000 personnes qui ont suivi Jésus dans le désert, oubliant tout même le fait qu’ils auront faim. Cette foule est saisie, captivée ! Pourquoi cette fascination de la parole de Jésus ?

Bien sûr les miracles ! Mais plus encore, sa personne, son regard sur chacun. (ex. de de Maurice Zundel). D’où vient cette capacité à faire exister l’autre par le regard ? Tout le contraire de la séduction ! Dans tous les évangiles, Jésus et tout particulièrement celui de Jean, Jésus est décrit comme relatif à son Père. « Levant les yeux au Ciel, Jésus bénit les pains et les rompit. » Rien à voir avec la séduction. Séduire, c’est conduire à soi. Jésus conduit à la Source.

« Ceci est mon Corps livré pour vous » Dans les paroles de l’Institution rapporté par Saint Paul dans la deuxième lecture, se trouve caché la plénitude inépuisable du don divin d’amour. C’est comme si une pierre était enlevée et maintenant jaillit une source qui ne se tarit jamais.
« Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. »

Le symbole du sang a valeur universelle.

Le sang est perçu comme le flux vital qui nourrit et anime le corps de l’homme. Il est plus que cela, il est le symbole du souffle de vie, de l’âme. Cependant l’expression « boire le sang » reste difficile. « Sang versé » exprime la violence du sacrifice du Christ. Le Christ par son sang versé scelle l’Alliance nouvelle. Sang de Jésus et Alliance doivent s’éclairer mutuellement. Le sang de Jésus, c’est d’abord le signe d’un amour qui ne se laisse pas dérouter par la mort. Cet Amour qui traverse victorieusement la mort et livré dans l’Eucharistie devient sacrement de vie, de communauté de vie, de communion de destin et de vie spirituelle et ce jusque que dans ce qui est blessé, troublé en nous, entre nous.

« Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi je le ressusciterai ». Manducation spirituelle, à prendre comme réalité de l’amour de Dieu qui se donne à manger et qui se donne à boire.

Faut-il pour autant éliminer la notion de sacrifice sanglant du Christ. Certes non ! La mort a été librement consentie par le Christ, elle a été sanglante. Pourquoi fallait-il que Christ passe par là ? La souffrance, et en particulier la souffrance innocente est révoltante, écœurante, d’autant plus pour Jésus. Rappelons-nous la phrase de Jésus à Gethsémani : « que cette coupe s’éloigne de moi ». Il déclare ainsi absurde la souffrance. Alors pourquoi Christ finit par accepter de s’y engager ? « Non pas ma volonté mais ta volonté. » C’est pour nous, pour la multitude que Christ s’engage librement dans le combat de l’amour contre la haine, de la vie plus forte que la mort pour donner à la souffrance un sens. Comment peut-on donner un sens à la souffrance ? Comme Jésus, nous avons à lutter contre elle mais en même temps nous avons à dire oui à l’amour : consentir à l’amour de Dieu qui mendie notre adhésion à son amour. Au creux de la souffrance, nous pouvons dire oui à Dieu, consentir non en justifiant la souffrance mais plutôt consentir à ce que le Christ par sa propre souffrance en fasse un lieu de rencontre et d’intimité avec Lui. Consentir non à la souffrance mais à l’amour de Dieu et ce jusque dans notre souffrance. Que pouvons-nous donner à Dieu sinon notre consentement à l’Alliance ? Alliance, ce mot exige bien une réciprocité de don. La seule chose que nous pouvons Lui donner, le seul mérite qui est à notre portée, c’est dire oui à l’amour de Dieu en engageant toute notre liberté. Au Ciel, c’est trop tard. La vie au Ciel aura quelque chose d’inéluctable et d’irrésistible. Nous serons emportés comme un fétu de paille sur l’océan. Là sera l’évidence de l’amour, un fleuve bouillonnant d ‘amour.

Chacun de nous prendra conscience que nous n’avons fait que recevoir, que nous n’avons jamais rien donné, hormis notre consentement.

Sur terre, nous pouvons donner. Dire oui à Dieu alors que nous pourrions lui dire non, voilà ce que nous pouvons donner et ce jusque dans nos épreuves, notre liberté imparfaite, notre péché. Si nous subissons des épreuves en ce monde, si notre oui à Dieu nous vaut des combats, c’est pour que Dieu au Ciel puisse nous dire « Tu m ‘as donné quelque chose. Je donne mais toi aussi tu donnes, nous donnons l’un à l’autre. Je me donne pour te remercier pour m’avoir donné quelque chose que tu aurais pu refuser. Maintenant tu ne peux plus rien me donner, mais ce que tu m’as une fois donné a valeur d’éternité ! » L’Eucharistie est le lieu privilégié où nous disons oui à Dieu.

C’est pourquoi le Concile affirme que « l’Eucharistie est la source et le sommet de la vie chrétienne ».

Avons-nous suffisamment soif pour venir boire à la source ? Faisons-nous de l’Eucharistie du dimanche le sommet de notre vie ? L’Assemblée du dimanche est-elle pour nous la rencontre à laquelle nous ne pouvons renoncer ?

L’Eucharistie, mystère de la rencontre ! Qui rencontrons-nous ? Rayonne-t-il de cette rencontre une « onde de charité » qui se diffuse dans toute notre vie ?

L’Eucharistie est un véritable repas où se partage le corps et le sang du Christ, un véritable repas qui nous transforme et fait de chacune et chacun de nous des frères et sœurs dans la foi. Un peu comme s’il ne pouvait y avoir un sacrement de l’eucharistie sans que celui-ci soit préalablement précédé d’un sacrement du frère ou de la sœur. Communier ensemble à ce mystère est une invitation permanente à partir de la rencontre de l’autre, celle ou celui en qui Dieu inhabite également car ma relation à tout être humain renforce ma relation à Dieu. L’un et l’autre sont inséparables.

Homélie du 6 ème dimanche de Pâques du P.Geffroy

Vous connaissez cette fameuse phrase de Saint Grégoire de Nysse:
« Celui qui monte ne s’arrête jamais d’aller de commencement en commencement par des commencements qui n’ont jamais de fin»
De commencement en commencement vers des commencements qui n’en finiront jamais. Cet adage s’applique à notre vie sur terre mais aussi après, au Ciel. Autant dès maintenant en faire l’apprentissage sur terre pour s’essayer, déjà ici bas, à la dynamique qui est plutôt celle du Ciel. Dynamique donc du mouvement qui me permet de demeurer dans la sécurité en Dieu, de demeurer dans sa solidité. Dynamique de stabilité en mouvement que l’on saisit dans le mot demeurer au sens johannique du terme. Demeurer en Dieu, est un mouvement.
Pour demeurer, il faut se déplacer de commencement en commencement. Pour comprendre vraiment, pour entrer dans la résolution de ce paradoxe, Jean nous livre un mot essentiel, nécessaire dont il faut éclairer le sens, le mot amour.
Aimer, c’est s’installer dans une stabilité de mouvement.
Aimer est une aventure au sens où sans cesse l’Esprit Saint nous bouscule, nous remet en question, comme si nous avions à aller comme des nomades de commencement en commencement vers un pays qui sans cesse nous échappe.
La motivation de ce déplacement, c’est l’autre.
La vraie solidité, la véritable stabilité de l’amour, c’est se déplacer sans cesse pour l’autre, c’est se déplacer sans cesse avec le Christ. Ce mouvement est d’abord un mouvement intérieur.
Le christ nous invite à demeurer en son Amour pour un voyage passionnant, une aventure intérieure qui va du mental au cœur profond, des entrailles à la conversion de l’affectivité dans la profonde intériorité où Dieu est présent, agissant. C’est un passage de l’esclavage à la liberté intérieure qui permet d’aimer en vérité. « Je ne vous appelle plus serviteurs mais amis. » Quoi de plus motivant !
Je vais vous lire un passage d’un texte écrit par une ex-toxicomane Félicité, obligée de travailler sur elle dans une pronde intimité avec Dieu pour sortir de l’esclavage de la drogue.

« Dans la vie, nous hésitons entre donner la barre, le gouvernail à notre mental ou à notre affectivité. Sois je veux tout contrôler, soit je déborde d’affectivité et l’intelligence ne peut plus rien structurer. L’ouverture d’esprit m’a amené à apprendre à me servir du cœur profond plutôt que des tripes. J’entends par cœur profond ce qu’il y a de meilleur en nous, c’est le lieu des émotions nobles où la rencontre avec Dieu a lieu, c’est le lieu où j’accueille l’Esprit Saint en moi. En lisant avec les tripes, je donne accès à toutes mes pires émotions, à la raison raisonnante, à ma volonté déchainée, à mon affectivité tordue et blessée. Ce sont mes blessures et ma tête malade qui vont me parler. Alors que mon cœur contient la perle de grand prix dont Jésus nous dit : Celui qui la trouve vend tout ce qu’il posséde pour l’acquérir. C’est donc dans la paix du cœur, dans cette sérénité profonde donnée par l’Esprit avec le meilleur de soi que nous devons entrer dans la vie intérieure. »
J’essaie de comprendre avec vous ce qu’elle veut dire. Tant que nous demeurons dans l’état d’esprit où le mental peut tout faire, tant que nous sommes dans l’affectivité non reliée à notre profonde intériorité, nous n’avons pas besoin de Dieu. De toutes façons, il ne peut venir car nous ne lui avons pas ouvert largement notre cœur. Dieu nous donne d’être libre de Le choisir. Il ne s’impose jamais, c’est à nous de nous tourner vers sa Bonté et sa Bienveillance. Nous nous leurrons en pensant que nous pouvons changer les choses et les événements à la force de notre mental ou par un débordement émotionel et affectif. D’où nous vient cet orgueil de vouloir croire que nous sommes aussi puissants que Dieu et que notre affectivité seule, non reliée au réel ni à l’action peut déplacer des montagnes ? Je redonne à Félicité la parole
« Il se peut que notre mental tendu comme un arc prêt à tirer semble agir sur les événements. Parfois je me prends à penser que Dieu va m’exhauser si je lui demande avec une grande foi. Or ce que je prends pour la foi n’est en fait que l’agitation de mon mental. Alors oui, je suis dans une foi où je conçois Dieu non comme, plus intime à moi-même que moi-même, mais plus comme un deus machina, extérieur à moi. Par exemple, j’ai demandé au Seigneur de gagner au loto pour me sortir de la précarité. Pourquoi ne m’a-t-il pas exaucé ? Parce que j’ai pris sa place. Je suis Dieu. Cela, c’est la première tendance.
Deuxième possibilité : Dieu me donne sa Puissance. Je suis dans une spiritualité de pouvoir. C’est la pensée magique.
Troisième conception de Dieu : consentir à un Dieu qui ne manipule pas et ne se laisse pas manipuler. Il accepte que nous lui demandions quelque chose mais Il veut que nous le laissions vouloir. C’est pourquoi, sa manière d’agir est d’abord d’œuvrer au cœur des hommes qui l’accueillent. Il n’entre pas forcément dans nos stratégies mais Il ne se passe pas de nous car Il veut passer par nous. »
Félicité parle d’expérience. Que pouvons nous en tirer pour notre propre vie ?
D’où nous vient l’illusion de croire que nos émotions, notre affectivité qui se limite au ressenti puisse être une œuvre de foi, d’espérance et de charité ? Ne suis-je alors enfermé dans mon ego ? Il n’y a que le cœur profond, c’est à dire le moi en alliance, dégagé de lui-même qui peut faire l’unité en moi entre corps, âme et esprit. C’est donc le passage du psychologique au spirituel que Christ veut nous faire faire. Il veut faire de nous des amis. Je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père je vous l’ai fait connaître.
C’est un déplacement, un passage pour demeurer dans l’amour- source où le verbe demeurer dit à la fois sécurité et mouvement intérieur et ça se voit à l’extérieur.
Comment fonctionne notre esprit. Nous classons rapidement les gens dans des catégories ami/ pas ami. Quand on creuse la façon dont on classe, on découvre qu’est ami, celui ou celle qui nous apporte de l’agrément et ennemi celui qui nous apporte du désagrément.
Nous savons prendre soin de la relation de ceux qui nous font du bien mais pour les autres ? Pour les autres, ceux qui ne nous font pas du bien, le seule solution pour ne pas les exclure, c’est de décoller de soi pour entrer en amitié avec le Tout Autre par le Christ. Il y a là un renoncement. Donner sa vie pour ses amis et qui plus est pour ses ennemis, c’est quitter son âme, se quitter pour ses amis par amour du Christ.
Renoncer à soi pour l’autre, renoncer à la puissance, à l’emprise, à tout ce qui peut écraser l’autre, certes, mais aussi au ressentiment, à la victimisation, renoncer à ce que l’autre nous fasse du bien et tant mieux s’il nous en fait. Tout cela par amour du Christ.
Nous avons besoin de la motivation de l’amour, celle que Dieu nous donne mais pour cela, il nous faut entrer dans le mode divin, c’est à cela que nous sommes invités. Renoncer à soi pour recevoir de Dieu ce que nous sommes. Nous sommes des êtres de louange capable d’aimer. C’est centrés sur le Christ que nous pouvons le devenir vraiment.
C’est centrés sur le Christ que nous pouvons à Saint Leu accepter un passage, un mouvement, accepter intérieurement ce que le frère Roger appelle la dynamique du provisoire, non pas en effaçant le passé mais en s’appuyant dessus, sur la vitalité du commencement, sur la force de création et de rédemption. Sûrement que cette capacité que nous avons à Saint Leu d’accueillir ceux qui ont besoin d’un sas pour se sentir bien dans l’Eglise vient de cette dynamique du provisoire où nous demeurons sans que nous l’ayons vraiment choisir. J’ai mis longtemps à accepter cette dynamique du provisoire mais je commence à y consentir. Dynamique du provisoire certes mais où Dieu nous installe en sécurité. C’est un acte authentique de foi, d’espérance et de charité. Dynamique du provisoire où Dieu est garant d’Eternité, de solidité et de fécondité. Il nous faut traverser nos frustrations nostalgiques, nos peurs de l’avenir. C’est peut-être douloureux mais c’est un vrai chemein de sainteté.