« Pourquoi chercher le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité ! »
Quand Luc raconte, il laisse une large place aux émotions. Les femmes expriment facilement leurs sentiments ; plus que les hommes. Les femmes dans le texte de l’évangile de cette vigile pascale sont pressées d’exprimer leur tristesse en « se rendant à la pointe de l’aurore au tombeau munies des arômates qu’elles avaient pris soin de préparer ».
Tristesse donc, immense tristesse qu’il faut exprimer par des gestes concrets. Dans les autres synoptiques, on les décrit préoccupées par la pierre qui obstrue l’entrée du tombeau.
Triste, préoccupées, sûrement étonnées de voir la pierre roulée et très vite déçues, désemparées de ne pas trouver le corps. Impossible pour elles d’imaginer le maître vivant.
Est-ce étonnant ? Certes non ! Notre intelligence liée au temps et à l’espace n’est pas capable avec ses propres forces de comprendre les réalités du Ciel. D’où ces deux personnes célestes qui les éclairent. Par leurs paroles et leur présence, ces deux « hommes en habits éblouissants » vont rouler la pierre qui entrave l’entendement de ces femmes pour qu’elles puissent accéder à une autre lumière que celle de leur intelligence. Cette lumière qui vient les éclairer exhausse au sens étymologique du terme leur conscience. Celle-ci est portée plus haut de la terre vers le Ciel.
Elles comprennent qu’il leur faut passer des ténèbres de la tristesse à la joie de la résurrection. Est-ce facile ? C’est tout un chemin qui est initié dans le tombeau même par cette sublime phrase des êtres célestes : « Pourquoi chercher le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité ! »
Est-ce suffisant ? Tout un chemin qui ne fait que d’être initié ! Elles ont exprimé leur tristesse par des gestes concrets. Elles se sont laissé surprendre. Elles ont accueilli le message céleste. Que manque-t-il ? Que cela soit relié à leur mémoire. D’où les paroles des anges qui ravivent leur mémoire. « Pourquoi cherchez vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité. Rappelez-vous ce qu’il vous a dit quand il était encore en Galilée : ‘Il faut que le Fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié et que, le troisième jour, il ressuscite.’ Oui Jésus-Christ avait annoncé sa Passion et sa Résurrection. « Alors elles se rappelèrent les paroles qu’Il leur avait dites ». Elles commencent alors à entrer dans la compréhension et la cohérence du dessein bienveillant de Dieu. Elles peuvent alors mieux comprendre ce qu’elles ont vécu avec le Christ. La suite du Christ, ses paroles, ses gestes, sa présence, son autorité prennent alors tout leur sens. Elles peuvent relire tout leur vécu avec le Christ à cette lumière venue du Ciel.
Comment partager cette nouvelle compréhension aux apôtres ? Elles se heurtent à un mur. Aucun des apôtres n’a fait le chemin qu’elles ont fait. Leurs dires sont qualifiés de propos délirants. Malgré tout, Pierre commence ce long chemin. Luc ne décrit pas les émotions de Pierre. Elles sont bloquées à l’intérieur de lui-même. Cependant, il est intrigué et vient vérifier au tombeau ce qu’il vient d’entendre. Il voit les linges et donc que le corps de Jésus n’y est plus. Pour lui, la pierre qui obstrue son cœur n’a pas encore été roulée. Il n’a pas encore accès à la sagesse de Dieu, cette sagesse qui a été livrée dans le cœur des femmes venues de bon matin au tombeau.
Que lui manque-y-il ? Comme pour les femmes, une lumière plus grande que son intelligence, une révélation. Comme pour les femmes, au creux de l’absence une présence.
C’est vrai que le signe donné est le tombeau vide comme un passage obligé, absence capable d’accueillir une présence, celle de Jésus ressuscité qui traverse les portes verrouillées du Cénacle. Ce sont les portes verrouillées du cœur des apôtres qu’il lui faudra traverser. Pourra alors jaillir, le cri de Pâques : « Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité » !
Comme tous les ans, la liturgie nous donne d’accueillir cette nouveauté toujours nouvelle de la résurrection.
Cette année encore, nous avons préparé notre cœur à accueillir la joie pascale pendant tout ce temps du carême, pendant toute cette semaine sainte. Nous avons vécu tout ce temps comme un temps de passage, comme une nouvelle naissance. Le monde de la résurrection vient cette fois-ci encore nous rejoindre et nous surprendre.
Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité.
Toute soif, toute détresse, toute injustice, toute foi vivante, toute compassion ont été déposées auprès de Dieu, au pied de la Croix.
Maintenant, nos yeux éblouis par la lumière de Pâques saisissent cette joie comme un cadeau inespéré :
Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité.
Dieu nous précède dans ce monde nouveau de la résurrection. Christ est ressuscité et c’est pour nous qu’Il est ressuscité.
Les effets de la résurrection agissent déjà dans notre vie. Au milieu de notre chaos, Dieu trace un chemin de libération. Il nous précède dans la plus éblouissante nouveauté. La résurrection est cette nouveauté, cette nouvelle création dans nos vies.
Avons-nous fait l’expérience de ce passage de la nuit à ce monde nouveau de la résurrection ? Que nous le sachions ou non, que notre pâque soit sensible ou non, la liturgie nous entraîne dans le dynamisme de la résurrection.
Oui ! croyons à l’expérience de la puissance de la résurrection dans notre nuit. Mettons-nous à l’écoute de ce monde en souffrance, de ce monde en attente. En son nom, accueillons ce mouvement puissant qui nous fait passer de la mort à la vie.
Mais de quelle puissance s’agit-il ? Cette puissance n’a rien à voir avec ce que ce mot évoque parfois, selon l’image du monde, de contrainte, d’écrasement et de violence. Christ s’est fait serviteur, aux antipodes des tyrans de la terre qui dominent par la terreur.
Christ serviteur révèle la vraie royauté, puissance d’amour et non de pouvoir : puissance d’amour, faite de douceur et de force, jaillissant d’un cœur humano-divin habité par la puissance de l’Esprit.
Dans cette puissance rayonnent lumière et tendresse infinies.
La victoire du Christ est totale. Pour nous, elle est en devenir mais déjà vivante en nous, disponible et certaine. C’est cela notre espérance. Accueillons la dans le concret de nos vies, dans les joies certes mais aussi dans le poids du jour et même quand tout paraît difficile, éprouvant.
La résurrection, c’était il y a plus de 2000 ans mais en quelque sorte nous pouvons dire que la résurrection vient vers nous, elle vient de l’avenir et nous pouvons à chaque instant y plonger notre présent. Acceptons d’accueillir la Sagesse qui vient de Dieu. Pour cela, il nous faut faire un acte de foi, comme un saut dans l’inconnu. Alors oui notre intelligence exhaussée dans la lumière de l’Esprit Saint pourra saisir ce qu’est la Résurrection, celle du Christ et la nôtre.
C’est ce même acte de foi que Marc et Mansour font en accueillant le baptême.
Que ce sacrement, signe visible d’une réalité invisible venant de ce monde nouveau qu’est la Résurrection, nous donne de nous ressaisir dans notre propre grâce baptismale.
Dimanche de PÂQUES
Pâques 2019
L’homme se sait mortel puisqu’il habite un monde marqué par la finitude et la mort. Grandeur de l’homme déchiré par la question : pourquoi mourir avec au fond du cœur ce désir inaliénable d’immortalité ? On peut faire semblant d’ignorer la mort. C’est le « même pas mal » de certains enfants à propos de la douleur. C’est cela le déni. Sur cette question, l’incendie de la cathédrale de Paris a pu être un électro-choc : un traumatisme qui oblige à remettre sur le métier la question d’une tradition chrétienne qui a façonnée notre culture.
Qu’est-ce que le christianisme ? Le christianisme c’est Pâques aurions-nous tendance à simplifier ! Si Pâques n’existait pas, le christianisme n’existerait pas. Ce que célèbre Pâques, c’est la Résurrection du Christ. La question de la Résurrection oblige à un long cheminement intérieur. La liturgie nous emmène vers le haut, non comme une boucle de l’éternel retour du même mais comme une ellipse qui dans une prise en compte de notre maturation et de nos expériences de vie ne redit pas tout à fait la même chose chaque année. Ce cheminement, Jean le met en scène dans le récit du matin de Pâques.
Ce sont encore les ténèbres mais c’est de grand matin. La lumière rasante de l’aurore commence à dissiper l’obscurité : ouverture donc, passage de la mort à la vie triomphante. La pierre roulée en est le symbole, le tombeau est rendu accessible à une nouvelle réalité. Marie-Madeleine, encore toute embrumée et envahie par la tristesse cherche de l’aide auprès des apôtres non pour chercher le vivant mais toujours le corps inerte du crucifié. « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. » Marie-Madeleine n’est toujours pas sortie de l’ancien monde ; elle n’a pas encore pris conscience de la nouveauté advenue.
Pierre et Jean accourent.
Pierre, sans hésiter, entre dans le tombeau. La lumière de la résurrection n’a pas encore fait naître en lui un nouveau regard capable de saisir dans les événements le monde nouveau qui surgit. Dans la pénombre du tombeau, il ne voit que linge et linceul.
Il ne peut que prendre acte de l’absence troublante du corps du Seigneur.
Jean n’entre pas tout de suite ; il « se penche » et « contemple le linceul resté là ». Son regard scrute l’invisible et « voit ». Bien sûr, il voit ce que Pierre a vu mais bien plus. « Jean vit et il crut » nous dit l’évangéliste. Jean était au pied de la croix. Il a vu mourir Jésus. L’Evangile de la Passion selon St Jean précise que Jésus remit l’Esprit. L’évangéliste ne dit pas que Jésus rendit l’Esprit mais qu’Il remit l’Esprit. Pour lui, Jésus meurt sur la croix en livrant déjà l’Esprit. Difficile pour nous de comprendre que la mort de Jésus donne la vie, donne l’Esprit. L’Esprit change notre regard, change le regard de Jean. Que voit-il ? Des linges mais disposés d’une certaine façon. Il aperçoit les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part, à sa place ». Le suaire autour de la tête de Jésus, c’est le linge roulé qui enserre la tête et qui retient la mâchoire. Il est roulé à sa place, c’est à dire en place. Le drap proprement dit qui a enveloppé le corps de Jésus posé à plat. C’est dire que le corps de Jésus n’est plus là et cependant, rien n’a été déplacé. Jean a compris cela et en plus, il fait un lien avec l’Ecriture.
Le disciple bien aimé est capable de saisir au plus profond du tombeau, au creux tragique des événements ce qu’avait annoncé les écritures. « Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts ». Quelle phrase de l’Ecriture arrive alors à l’esprit de Jean lui permettant de faire ce passage dans la foi en la résurrection ? Ne serait-ce pas: « Détruisez ce temple et en trois jours je le rebâtirai ». Seul l’esprit illuminé par la foi, l’espérance et l’amour peut discerner, le mystère du Jour nouveau et du Monde nouveau, le mystère de la nouvelle création qui s’annonce, le mystère de la présence du Vivant qui vient combler notre attente. « Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité ». De la croix a jailli l’eau vive du salut et c’est notre joie. Maintenant, nos yeux éblouis par la lumière de Pâques saisissent cette joie comme un cadeau inespéré : Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité. Christ est ressuscité et c’est pour nous qu’Il est ressuscité. Les effets de la résurrection agissent déjà dans notre vie. Au milieu de notre chaos, Dieu trace des chemins de libération. La résurrection est cette nouveauté, cette nouvelle création dans nos vies. Oui ! croyons aussi à l’expérience de la puissance de la résurrection dans la nuit de ce monde. Mettons-nous à l’écoute de ce monde en souffrance, de ce monde en attente. En son nom, accueillons ce mouvement puissant qui nous fait passer de la mort à la vie.