Auteur/autrice : sebastien
Feuille n°403 du dimanche 17 février au samedi 9 mars 2019
Obseques de Marie Thérèse Charra 1 er mars 2019
Trois mots en dialogue peuvent esquisser le portrait de Marie-Thérèse. Des mots qui s’ajustent à elle comme on ajuste un vêtement ? Ces trois mots, c’est authenticité, simplicité et bonté.
Ces mots déclinés ensemble rendent compte de sa capacité à l’amour, au relationnel ?
Simplicité : tout le contraire de la toute-puissance ! L’Ecriture dit que le cœur de l’homme est malade et compliqué. Vouloir se simplifier est un long chemin. C’est un désir, une perspective qui s’ouvre à nous sur cette route de purification. Sur cette route, une action de Dieu est nécessaire pour prendre conscience de ce qui est compliqué en nous, le nommer et l’ouvrir à l’action de l’Esprit Saint qui nous libère de tout ce qui fait obstacle.
Bonté : tout le contraire de l’emprise sur l’autre ! Oui mais comment vivre et faire vivre de cette bonté quand on a un tempérament bien trempé et que l’on ne mâche pas ses mots. Encore une fois, le travail de Dieu ! L’être humain est capable de comprendre le désir de Dieu de transformer notre cœur, d’élargir notre espace intérieur et de faire grandir notre capacité d’aimer. Travail de Dieu mais pas sans notre collaboration. Marie-Thérèse s’est laissée transformer dans la sécurité et la lumière de l’amour divin.
Authenticité: tout le contraire de la duplicité ! Les québécois diraient : il n’y a pas de cachette en elle. Il n’y avait pas de cachette en Marie-Thérèse.
Comment peut on aller jusque là ? A cette épure là ? Quel est le secret de Marie-Thérèse ?
Réponse : la vie intérieure.
La vie intérieure pour Marie-Thérèse : une respiration vitale qu’elle n’a jamais abandonné. Dieu dans sa vie, voilà son oxygène. Tant de bonté, tant de simplicité, tant d’authenticité, c’est le fruit d’une intériorité reliée à la source. Marie-Thérèse a cherché toute sa vie cette source. Dire qu’elle a cherché Dieu est une évidence, elle l’a même cherché dans la vie religieuse. L’a-t-elle trouvé ? « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais pas déjà trouvé. » Cette phrase de Saint Augustin tirée des confessions donne le tempo et invite au mouvement, au déplacement. Dieu sait combien Marie-Thérèse s’est déplacée. Géographiquement avec son expérience d’enseignante au Liban. Spirituellement, le passage de la vie religieuse à la suite du Christ en pleine pâte humaine. De la vie active à une retraite non moins active. De la santé à la maladie. Le secret de Marie-Thérèse : la profonde intimité avec le Christ. Le Christ qui vit en elle, dans sa vie intérieure mais aussi le Christ présent d’une certaine manière dans ceux qui sont prisonniers, malades, nus, affamés…
C’est la raison du choix des deux textes que nous avons entendus: un passage du chapitre 2 du livre d’Osée. Ce premier texte est une magnifique déclaration d’amour de Dieu à Israël.
« En ce jour-là, oracle du Seigneur… Je ferai de toi mon épouse pour toujours, je ferai de toi mon épouse dans la justice et le droit, dans la fidélité et la tendresse ; je ferai de toi mon épouse dans la loyauté, et tu connaîtras le Seigneur. »
Ensuite le texte de Mathieu au chapitre 25 qui est une magnifique bénédiction de Dieu pour tous les bons samaritains.
« J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !”
Magnifique bénédiction et non moins magnifique conclusion:
“Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.”
Marie-Thérèse était à l’aise dans tous les milieux, ouverte à tous.
Pour arriver en vérité à être tout à tous sans acception de personnes, dans tous les milieux, Marie-Thérèse a dû poser un acte de foi : en tout être, la bonté et même la beauté existent comme déjà là, peut-être non encore intégrées mais disponibles, parfois profondément enfouies, à peine visible mais perceptibles si notre regard cherche dans cette direction.
Ce que Marie-Thérèse cherchait à vivre dans ses relations d’aide, c’est écouter l’autre dans le meilleur de lui-même et en tout être aussi défiguré qu’il soit. Cette phrase de Nouwen me semble décrire le travail qu’elle a fait.
Comment saisir dans la nuit la lumière déjà présente et qui vient ?
« Comment pouvons-nous déterminer l’heure de l’aube, le moment où la nuit cède la place au jour ? »
[Le sage répond alors :] c’est lorsque vous pouvez regarder le visage d’un autre être humain et qu’il y a en vous suffisamment de lumière pour reconnaître en lui votre frère ou votre sœur. »
Marie-Thérèse aimait les enfants. Je laisse la parole à Béatrice : « Marie-Thérèse et mon fils étaient devenus de vrais amis. Nous les appelions Harold et Maud. (je suppose à cause de la différence d’âge). Le petit Paul avait 8 ans et n’a jamais cessé de lui envoyer des textos. Il a quinze ans maintenant et c’est elle qui lui a donné les méthodes de travail qui ont fait de lui un excellent élève. Elle jouait avec lui. Ils s’amusaient beaucoup. Par exemple des jeux de rôle où chacun incarne un personnage. Elle était très moderne avec une connexion facile avec les enfants, sans pour autant faire semblant d’en être un. »
Quels sont les lieux où Marie-Thérèse s’est exercée à l’art d’aimer ?
La paroisse Saint Eustache, la paroisse Saint Leu, la vie religieuse, sa mission d’enseignante ont été autant de communautés, autant de petits laboratoires où s’expérimente l’art de l’autre. Sommes-nous des communautés idéales ? Certes non ! Mais nous sommes des communautés réelles dans lesquelles on vit et où la confrontation à l’autre invite à arrondir les angles comme les galets qui s’entrechoquent sous l’effet de la mer. Une communauté composée d’ « égos sans relation à l’intériorité et à la Transcendance » est une communauté livrée aux désirs opaques du cœur de l’homme Une communauté spirituelle est une communauté qui se reçoit de l’Esprit Saint et renonce à l’illusion d’une communauté idéale. Renoncer à l’idéalisation de toute communauté, c’est accepter de se recevoir d’une autre perfection que de l’illusoire perfection humaine. Se recevoir de la perfection d’amour en Dieu, celle de l’Esprit saint est un véritable enjeu. Nos communautés ne sont pas des communautés idéales mais elles sont appelées à faire le passage vers plus de souffle dans l’Esprit, plus de consentement au réel (des-idéalisation), plus de simplicité (les autres me simplifient si j’y consens), plus d’altérité (purification de l’affectif), plus d’humilité (renoncement à mes schémas mentaux quelque peu formatés). Tout cela se fait souvent dans une souffrance comparable à celle de l’accouchement. Accoucher d’une plus grande liberté intérieure, d’une plus grande capacité à aimer, accoucher de la vie profonde ne peut se faire que dans le souffle de l’Esprit Saint. C’est ce dont toutes les communautés qui se disent chrétiennes sont invitées à vivre dans de plus justes relations.
La juste relation invite à ôter les masques et à se laisser désarmer devant le Seigneur. C’est ce que Marie-Thérèse a radicalement dû faire à la fin de sa vie. Paradoxe que d’avoir à se battre contre la maladie en se désarmant devant le Seigneur pour lui laisser la place. C’est Lui qui a combattu pour Marie-Thérèse. Pas sans elle bien sûr. Plusieurs aller et retour à Jeanne Garnier pour être vraiment désarmée, à la manière du patriarche Athénagoras quand il dit : « Il faut mener la guerre la plus dure contre soi-même. Il faut arriver à se désarmer. J’ai mené cette guerre pendant des années, elle a été terrible.
Mais maintenant, je suis désarmé. Je n’ai plus peur de rien, car l’amour chasse la peur…
J’accueille et je partage. C’est pourquoi je n’ai plus peur. Quand on n’a plus rien, on n’a plus peur. Si l’on se désarme, si l’on se dépossède, si l’on s’ouvre au Dieu-Homme, qui fait toutes choses nouvelles, alors, Lui, efface le mauvais passé et nous rend un temps neuf où tout est possible. »
P B.M Geffroy
Feuille n° 402 du dimanche 3 février au samedi 16 février 2019
Dimanche 20 janvier 2019
Cana, commencement des signes…
Le temps de l’épiphanie de Noël ne se termine vraiment qu’aujourd’hui où nous célébrons les noces de Cana. L’Eglise nous invite à méditer le premier miracle de Jésus. Un miracle qui est un signe et pas n’importe quel signe puisque Saint Jean le qualifie de commencement des signes. Commencement, c’est dire que Jésus inaugure un monde nouveau. A partir du moment où l’eau est changée en vin, le monde ancien est révolu, les noces de la terre deviennent le signe d’une réalité qui se comprend comme le symbole d’autre chose. Jésus va opérer le commencement des signes dans le cadre de noces villageoises. Il y est invité avec Marie. En ce temps là, la vie est difficile, la pauvreté est grande, le travail épuisant, les maladies et les guerres rendent précaire la vie quotidienne. Un mariage se fêtait pendant sept jours et se devait d’être réussi. Les fêtes étaient peu nombreuses, mais on les célébrait avec beaucoup d’enthousiasme et de joie. Elles apportaient de la fraternité et de la chaleur humaine dans un monde rempli de souffrances. Chez ces pauvres, pour qu’une fête réussisse, il fallait une forme d’extravagance, de surabondance et de folle libéralité, remède à la grisaille et à la dureté de la vie quotidienne.
Dans la routine souvent triste et ennuyante, les gens retrouvaient le sens positif du travail, de l’amour, de la naissance, de la communauté et de la vie. L’enjeu de réussite est donc primordial. Dans le mariage qui nous occupe, une catastrophe se profile, la fête risque d’être gâchée. « Ils n’ont plus de vin ! » Cette phrase que Marie adresse à son fils est une humble intercession, signe d’une vraie attention à ce qui se passe, d’une vraie compassion et d’une grande confiance en ce qui va se réaliser. Marie qui retenait dans son cœur tous les événements bouleversants qu’elle vivait, à chaque fois que le Ciel venaient faire irruption en sa vie, vit déjà l’alliance avec le monde divin. Sa prière confiante sera exaucée. De plus Jésus en fera le symbole d’un autre signe, le signe de sa gloire. Grâce à cette eau changée en vin, un simple repas de mariage prend une dimension d’éternité. Il est le signe d’autres épousailles qui auront lieu ailleurs et plus tard. Que sont ces futures épousailles ?
« Le troisième jour, il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là ». C’est un premier indice. La mention des trois jours renvoie au temps qui sépare la mort de Jésus et sa Résurrection.
Quand Jésus s’adresse à sa mère, il l’appelle « femme. Le mot femme, Jésus ne l’adresse à sa mère que deux fois, à Cana et sur la croix. « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. » La mention par Jésus de son heure qui n’est pas venue est un troisième indice. Quand Jean parle de l’heure de Jésus, il désigne la Passion du Christ.
Ces futures épousailles se consomment donc sur la croix ! « Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui ». Le mot gloire est important. Cana est une épiphanie de la gloire de Dieu. Cependant, elle éclatera par la croix dans la Résurrection.
Jésus intervient pour changer l’eau en vin de toute la force de vie qu’Il va livrer dans le sang versé, dans sa vie donnée.
Le passage du livre d’Isaïe que nous avons entendu, prophétise, par l’image des épousailles, ce monde nouveau où Dieu épouse et assume notre humanité. Par delà le banquet de Cana, le vrai banquet auquel Jésus participe, ce sont les épousailles de Dieu et de l’humanité, la Nouvelle Alliance. A celle-ci, l’eau de la purification ne suffit plus. Les 6 cuves de pierre sont bien utiles, mais elles prennent une autre destination. Pour le banquet des temps nouveaux, il faut du vin.
Par son excès même, – 600 litres de vin capiteux -, il célèbre à l’avance la générosité sans mesure d’une vie divine qui ne demande qu’à se répandre avec surabondance. L’aspiration au bonheur et à la joie de vivre est reprise par un souffle nouveau qui l’emporte vers un avenir inespéré.
La joie humaine de la noce éclate en une joie infiniment plus haute : la joie d’une vie divine qui se donne sans compter. Le signe de l’eau changée en vin nous fait passer d’une modeste noce de village à la grande transformation de l’univers, que Dieu veut accomplir en Jésus.
Ce qui s’annonce ici, c’est bien la naissance de l’homme à la vie divine. L’homme qui, en Jésus, est divinisé. Tout se retrouve dans ce signe. Les eaux primitives de la création, les cuves des ablutions rituelles du Judaïsme sont reprises, transfigurées dans le vin nouveau de la pleine communion de vie des hommes en Dieu. Le désir de bonheur et de vie, qui est au cœur de l’homme depuis toujours, est comblé. Il est étiré jusqu’au cœur de Dieu. Car seul Dieu peut donner ce qui est au-delà de nos forces : Sa Vie et Son Bonheur.
Sommes-nous persuadés de cela ? Savons nous que tous nos actes ont une grande importance, qu’ils résonnent dans le cœur de Dieu positivement quand ils vont dans le sens de l’unité, de la communion. Tous nos gestes de division basés sur les désirs opaques de notre cœur et qui nous enferment dans notre ego offense Dieu. Je demande au Seigneur dans cette semaine de l’unité une grâce de discernement pour chacun. Que nous prenions conscience quelle parole ou quelle absence de parole, quel geste, quelle attitude construisent la communauté et quels sont nos actes qui abîment, divisent l’unité. L’Eucharistie est le lieu même de cette saine et sainte remise en question. Qu’ainsi les énergies de l’Eucharistie puissent rejoindre et transformer nos vies et nos communautés.
Feuille n° 401 du dimanche 20 janvier au samedi 2 février 2019
Dimanche 13 janvier 2019
Baptême du Seigneur 2019
Jésus reçoit le baptême « comme tout le peuple », précise Luc. Jésus s’est mis dans cette longue colonne de pêcheurs qui reconnaissent leurs péchés et qui font cette démarche de conversion qu’est le baptême de Jean. Mathieu précise que Jean-Baptiste apercevant Jésus dans la file s’étonne de sa démarche : « Moi, j’ai besoin que tu sois baptisé par toi et tu viens à moi ! » La réponse de Jésus : « Pour l’instant, laisse faire ! »
Jésus ne se dérobe pas à ce premier baptême. Il y rentre à l’égal des autres hommes, comme s’il avait besoin de reconnaître ses péchés lui qui n’a pas pêché. Alors pourquoi cette démarche ? En entrant dans les eaux du Jourdain, Jésus va purifier toutes les eaux et en particuliers tous nos fonts baptismaux. De nos baptêmes en Jésus, jaillit la vie même de Dieu. Le baptême de Jean a fait son temps. Il est périmé. Ce qui ne veut pas dire que nous n’ayons pas besoin de conversions. Le baptême que nous avons reçu nous purifie de nos péchés. Cette purification est réactivée par la messe, par le sacrement de réconciliation et notre manière de vivre.
Lors du récit du baptême de Jésus par Jean-Baptiste, les quatre évangélistes racontent ce passage au moyen d’une image biblique très éclairante :
Le Ciel qui s’ouvre. « Ah si tu déchirais les cieux et si tu descendais…tel un feu qui fait bouillonner les eaux », disait Isaïe. (Is. 63, 19, 64,21)
D’autre part, les quatre évangélistes comparent la descente de l’Esprit Saint à une colombe. Le Talmud de Jérusalem, commentant Gn,1, compare cette présence de Dieu à une colombe : « L’Esprit de Dieu planait sur les eaux comme une colombe… » La colombe évoque aussi l’Alliance renouvelée avec Noé après le déluge. C’est bien une colombe qui revient avec une brindille pour indiquer que le déluge était fini et que la vie pouvait reprendre. L’amoureux du cantique des cantiques déclarant sa flamme à sa bien-aimée l’appelle « ma colombe au creux d’un rocher…ma sœur ma compagne, ma colombe, ma parfaite… » Or le peuple juif lit le cantique des cantiques comme la déclaration d’amour de Dieu à l’humanité. Nous sommes bien dans une ère nouvelle, nouvelle création, nouvelle alliance. C’est bien ce qu‘avait annoncé Isaïe : nouvelle terre, nouveaux cieux : Don de l’Amour divin, réponse à la prière de Jésus. En effet, Luc précise que Jésus priait quand le Ciel s’est ouvert. Conséquence du Ciel qui se déchire : c’est la terre qui est transformée. Le croyant vit désormais sous le Ciel ouvert. Il reçoit à chaque instant la force invincible de l’Esprit Saint. Le ciel du cœur du croyant s’est ouvert car cette ère nouvelle tant espérée passe par chacun de nos cœurs.
Saint Augustin affirme que le cœur de l’homme est malade et compliqué. Accepter que l’Esprit Saint le guérisse et le simplifie est un long chemin. C’est une perspective qui s’ouvre à nous sur cette route d’une plus grande simplicité, mais aussi d’une plus grande authenticité.
« Tout le peuple se faisait baptiser »… Luc nous montre qu’il n’y a pas de vie chrétienne isolée. Un chrétien seul est rapidement un chrétien mort. Le premier effet du baptême est justement de nous faire rentrer dans la famille des enfants de Dieu, et donc des frères de Jésus.
Le « vivre-ensemble » centré sur le Christ est libérant et guérissant. L’originalité de cette thérapie, c’est qu’elle est spirituelle. C’est le Christ lui-même qui est le thérapeute, moyennant des médiations. Avec notre consentement, Il nous emmène dans un chemin de simplicité, de transformation profonde de notre cœur. Ce chemin de conversion passe par nos communautés. Quelle communauté? Celle qu’on idéalise ou la communauté réelle dans laquelle on vit: famille, communauté religieuse, communauté de d’engagement, communauté paroissiale, d’Eglise …. ?
Dietrich Bonhoeffer dans son livre « de la vie communautaire » à des paroles percutantes et éclairantes: « premièrement, la communauté chrétienne n’est pas un idéal mais une réalité donnée par Dieu et, secondement, la fraternité chrétienne est une réalité pneumatique et non psychique ». Bonhoeffer rattache la réalité pneumatique à l’action de l’Esprit Saint, dans le sens paulinien du terme. Saint Paul oppose le Pneuma à la sarcx, la chair. Ce que Bonhoeffer nomme réalité psychique ne concerne pas ce que nous rattachons communément au psychisme, dans les démarches empiriques de psychologie et de psychothérapie. Ce qu’il nomme réalité psychique, c’est la chair qui ne se reçoit que d’elle-même, c’est le moi sans alliance avec l’intériorité et la Transcendance. Une communauté composée d’ « égos sans alliance » est une communauté livrée à la chair. Une communauté pneumatique est une communauté qui non seulement se reçoit de l’Esprit Saint mais qui a renoncé à l’illusion d’une communauté idéale. Renoncer à l’idéalisation de toute communauté, c’est accepter de se recevoir d’une autre perfection que de l’illusoire perfection humaine, mais plutôt de la perfection qui vient de la dynamique du Pneuma. La réalité pneumatique se fonde sur la Parole de Dieu révélée en Jésus-Christ, sur les grâces qu’Il a laissées à l’Eglise. Par contre, la réalité psychique ne se reçoit que des « égos » qui la composent et basée sur les désirs opaques du cœur de l’homme.
Le passage vers une communauté plus pneumatique se fait à travers un chemin de consentement au réel (des-idéalisation), de simplification ( la confrontation à l’autre m’invite à arrondir les angles comme les galets qui s’entrechoquent sous l’effet de la mer), de purification de l’affectif, d’humilité. Tout cela se fait souvent dans une souffrance comparable à celle de l’accouchement. Accoucher d’une plus grande liberté intérieure, d’une plus grande capacité à aimer, accoucher de la vie profonde ne peut se faire que dans le souffle du Pneuma. C’est ce dont toutes les communautés qui se disent chrétiennes sont invitées à vivre:
L’Eucharistie est le lieu source, sommet de la vie chrétienne pour cette transformation, guérison, simplification de nos cœurs et de nos vies, au cœur de nos communautés.
Dimanche 6 janvier 2019
Sainte Marie, mère de Dieu
L’évangile proclamé en ce jour est la continuité exacte de celui qui a été proclamé dans la nuit de Noël. C’est vrai qu’à St Leu, nous avons lu l’ensemble du récit des bergers. Rappelez-vous, l’annonce a été faite aux bergers et ils sont venus voir ce qui leur avait été annoncé.
Cette nuit là, le Ciel pour les bergers s’était ouvert. C’est au cœur de leur regard capable de contemplation que Dieu s’est révélé. L’invisible s’est ouvert, le Ciel physique n’étant qu’un signe, un appel à la rencontre avec l’invisible.
Par grâce, les bergers ont eu accès à la liturgie céleste, éblouissante de beauté et d’harmonie.
Comment mettre en relation la lumière céleste qu’ils ont vue et cet Enfant dans l’étable d’où irradie une douce lumière? Devant l’Enfant, ce n’est pas le Ciel qui s’ouvre alors mais leur cœur. Ils vont alors pouvoir relier les deux événements dans leur cœur.
Le Ciel qui s’ouvre et ce nouveau-né emmailloté dans une mangeoire. Leur cœur, dans l’expérience céleste qu’ils ont vécue a été rendu capable de scruter dans l’invisible ce qu’il y a derrière cette naissance : le dessein bienveillant de l’amour de dieu pour l’humanité. Les bergers ont pu contempler en ce nouveau-né un Sauveur, un Messie, un Seigneur.
Le cœur des bergers a vibré dans cette double expérience : expérience de transcendance, de lumière grâce au ciel qui s’est ouvert pour eux mais aussi expérience d’humilité en cette humble étable, divinisée par la présence de l’Enfant-Dieu.
Les bergers ayant pu faire l’expérience de Dieu dans sa grandeur et son humilité peuvent alors adorer l’enfant-Dieu.
Au cœur de ce passage bien agité, avec la venue des bergers, leur récit, leur départ dans l’action de grâce et la louange, il y a comme un grand calme : « Marie retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur. » Arrêtons-nous un instant et contemplons Marie, en ce jour où nous la fêtons comme Mère de Dieu. Une traduction plus proche du texte grec dirait : « Marie gardait avec soin toutes les choses dites et les retenaient dans son cœur. » Le mot traduit par “méditer” ou “retenir” est “συμβάλλω” (sumballo) dont le sens premier est “se rencontrer avec” ou “jeter ensemble” et qui a donné le mot symbole. J’aimerai proposer comme traduction, même si cela semble en peu barbare à nos oreilles : « Marie gardait avec soin les paroles et les symbolisait dans son cœur. »
Il faut entendre cela avec la compréhension du symbole dans l’Antiquité. Le symbole était une pièce de terre cuite que l’on rompait lors d’un pacte par exemple et chacun en gardait un morceau et quand plus tard, un émissaire venait, il était porteur de l’un des morceaux et si ce morceau collait à celui qui avait été conservé l’émissaire était reconnu comme envoyé par celui avec qui l’on avait fait le pacte. Avec cette image, j’aime à penser que Marie symbolisait dans son cœur ; c’est-à-dire qu’elle rapprochait deux éléments : d’une part la Parole de Dieu, d’autre part les événements qu’elle vivait. Symboliser Parole de Dieu et événements pour qu’ils s’éclairent réciproquement. Nous sommes peut-être habitués déjà à éclairer les événements de nos vies par la Parole de Dieu. Mais savons-nous approfondir la Parole de Dieu à la lumière des événements ? Il doit y avoir entre les deux une réciprocité, un va-et-vient qui donne toute sa force à la Parole divine et tout son sérieux aux événements humains. Cela suppose de prendre le temps de la méditation. Pour pouvoir “symboliser” Paroles de Dieu et événements, il nous faut, à l’exemple de Marie, apprendre à « garder la Parole. »
Apprendre de qui ? Sinon de Dieu lui-même !
« Que le Seigneur te bénisse et te garde !
Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage,
qu’il te prenne en grâce !
Que le Seigneur tourne vers toi son visage,
qu’il t’apporte la paix !”
Cette bénédiction donnée par Dieu à Moïse et à transmettre à Aaron et à ses fils, dans le contexte de la crèche dit bien cette réciprocité. Il s’agit bien de symboliser dans notre cœur le Ciel et la terre. Nous supplions Dieu de nous éclairer de sa lumière, de tourner vers nous son visage et de donner la paix. Dans l’adoration de l’Enfant-Dieu, c’est nous qui approchons notre visage de celui du Seigneur comme si nous voulions recevoir de Lui, dans sa folle incarnation la capacité d’accueillir du Seigneur l’Alliance entre le Ciel et de la terre. Quand nous adorons nous symbolisons. C’est ce qu’ont fait les bergers quand ils ont relié liturgie céleste et l’adorable simplicité de la crèche. C’est ce que fait Marie quand elle « symbolise » tous ces événements. Elle le fera plus douloureusement au recouvrement au temple, mais aussi quand Jésus quittera la maison pour la mission, et dans un paroxysme de souffrance et de don de soi, dans un cœur transpercé au pied de la Croix. Alors dans son cœur, Ciel et terre s’harmonisent, même quand tout semble piétiné, même quand la beauté du Ciel et la déréliction du Christ sur la Croix se percutent. Scandale pour les Juifs, folie pour les païens. Mater dolorosa certes mais debout dans ce travail de la grâce en elle, travail de symbolisation au degré le plus élevé et le plus douloureux. Folie de l’Amour qui en Christ et en Marie éclaire le monde à jamais.
Au cours de cette Eucharistie demandons la grâce d’un cœur qui symbolise.
Que 2019 soit dans nos vies le signe de l’Alliance entre le Ciel et la terre. Que nous puissions incarner en actes et en vérité cette Alliance.
L’Eucharistie est par excellence le lieu de la « symbolisation » au sens de la phrase « Marie gardait avec soin ses paroles et les « symbolisait dans son cœur ».
Cette Eucharistie, dans cette célébration où nous fêtons Marie, mère de Dieu est le lien par excellence où Ciel et terre se rencontrent.
Un scientifique peut-il croire la Genèse ?
Aujourd’hui, nous fêtons l’Epiphanie. Chemin intéressant que celui des mages ! C’est en se servant de leur science qu’ils ont été guidés vers le pays où Jésus est né. Mais c’est en interrogeant des spécialistes de l’Ecriture qu’ils ont pu déterminer précisément la ville où ils se trouvaient. La fête d’aujourd’hui nous montre donc un bel exemple de la manière dont la science et la Bible ne s’opposent pas.
Pourtant, pour de nombreuses personnes, les avancées de la science contredisent la révélation chrétienne. Ceci est particulièrement manifeste dans les récits de la création. Comment croire la Genèse qui nous dit que le monde a été créé en 7 jours ?