Toussaint 2018
Le mot sainteté fait peur. Pourquoi cette appréhension ? Certains saints font peur : trop ascétiques, trop héroïques, trop saints. Certains canonisés peuvent même sembler étranges, trop troublés, trop tourmentés. D’autres encore, pas si saint que cela. Saint Bernard par exemple. « Tuer un maure, n’est pas un homicide mais un « malécide » car on tue le mal. » Il prêchait alors les croisades.
A un examinateur du séminaire, j’avais fait part de mes réserves par rapport à la sainteté de mon saint patron. Il avait longuement réfléchi avant de me répondre : « il a été canonisé malgré cela. »
J’ai pu saisir grâce à sa réponse que la sainteté n’était pas la perfection, que la sainteté était liée à un contexte, une culture, une époque.
Ce mot fait peur aussi à cause de la souffrance qui y est associée. Pratiquement tous les saints ont beaucoup souffert. Comme si le prix à payer pour être saint, c’était la souffrance. J’ai compris au cours de mon expérience d’accompagnateurs que ce n’était pas la souffrance qui faisait la sainteté mais la manière dont on la traversait. La sainteté, ce n’est pas la perfection mais la vulnérabilité ouverte, offerte. Dieu craque d’amour pour celui qui a été maltraité, humilié, percuté par la violence. Au ciel quand nous le verrons face à face, plus de souffrance. Dieu essuiera toutes larmes et éclatera alors la victoire du Ressuscité. Le texte de l’Apocalypse proclame cela. Les 144000 qui ont reçu le sceau sur le front disent cela. Il s’agit des baptisés. La foule immense dont parle Saint Jean dans sa vision, c’est toute l’humanité. Ils sont sauvés parce qu’ils « viennent de la grande épreuve, parce qu’ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. »
La grande épreuve, c’est la victoire de Jésus par la croix, sur la souffrance. C’est d’une façon éminente la sainteté de Dieu, son Amour qui va jusqu’à l’extrême de l’amour. L’Eglise que nous sommes, nous baptisés, Corps du Christ, continue dans les épreuves que nous traversons à participer à la victoire du Christ qui certes a tout accompli mais il reste que cela soit accomplit dans toute l’humanité, par notre chair et jusqu’en notre chair blessée. Sainte blessure d’où peut jaillir les béatitudes. Baptisés, nous sommes reliés directement à la Passion et la Résurrection du Christ. Par l’Eglise, tout homme de bonne volonté est aussi relié par des moyens que seul Dieu connaît à la Passion et la Résurrection du Christ. D’où notre responsabilité de vivre pleinement notre baptême. qui fait de nous des prêtres, prophètes et rois.
Comment comprendre que les béatitudes peuvent jaillir au creux d’une vulnérabilité, d’une pauvreté ? Comment comprendre le paradoxe des béatitudes que l’on peut résumer dans cette formule « heureux les malheureux. Dans notre monde, ceux qui pleurent, ceux qui sont persécutés, ceux qui sont, artisans de paix ne sont pas les plus heureux !
Deux précisions importantes pour rentrer dans la complexité des béatitudes :
– d’abord de quel bonheur s’agit-il ?
– ensuite comment accueillir ce bonheur dans l’épreuve
Spontanément nous cherchons le bonheur dans l’assurance que procurent l’avoir, le pouvoir et une soif de reconnaissance immodérée.
Jésus nous parle d’un bonheur, d’un autre ordre, un bonheur qui peut se vivre plus particulièrement au creux même de la pauvreté de cœur, de la détresse, de la soif de justice et de paix, du renoncement à entrer dans la violence de l’autre.
Ce bonheur est à chercher en Dieu, dans la foi. Ce que célèbrent les béatitudes, c’est le bonheur de Dieu de communiquer son propre bonheur. L’amour gratuit de Dieu, voilà la source des béatitudes. Cet amour ne reste pas enfermé dans un sanctuaire, il a pour nature de se communiquer, de transformer en profondeur les cœurs, de libérer de l’égoïsme, du retour sur soi, des velléités de puissance et de possession. Bref, c’est cet amour là qui construit la communion. Nous fêtons la sainteté, nous fêtons la communion des saints, la communion des hommes et des femmes de toutes langues, histoires, cultures, cherchant à vivre de l’amitié, de l’amour, de la beauté, de la joie, de la miséricorde et du pardon. C’est la fête de la communion, de la relation d’unité entre tous les hommes.
En fait, c’est le Ciel qui rencontre la terre. La rencontre du divin et de l’humain, souvent blessé, nous des-installe, nous sort de nous même. Être heureux du bonheur des béatitudes sur la terre, c’est recevoir le bonheur du Ciel, non au sommet de la montagne de notre superbe mais en creux, dans la vallée de nos dénuements. N’ayons pas peur de nos insuffisances, de nos frustrations, de nos humiliations, même de nos échecs. C’est tout cela que Dieu veut visiter. Nous sommes pauvres, pauvres en notre esprit propre, nous les épuisés du souffle; c’est précisément dans ce creux, cet espace disponible pour autre chose que nous-mêmes qu’il nous faut accepter de recevoir le Royaume. Le Royaume, c’est le Christ et pour nous, accueillir le Royaume, c’est le suivre. Le Royaume des Cieux est là, au creux même de notre terre qui s’ouvre à la Présence de Dieu, à la logique du Christ pour lequel le mal n’a aucune adhérence, qui reçoit tout du Père. Alors, pour nous, maintenant, en quoi est-ce vital pour nous?
Le Royaume maintenant, c’est ce qui nous est donné dans deux béatitudes dans la première et la dernière qui font inclusion, c’est dire leur importance.
Heureux les Pauvres de cœur, car le Royaume de Dieu est à eux…
…
Heureux ceux qui sont persécutés à cause de la justice, car le Royaume de Dieu est à eux…
C’est dire la place centrale du Royaume dans notre bonheur aujourd’hui. C’est au présent. N’oublions pas aussi qu’il se reçoit en creux, au creux de la « pauvreté du cœur » au creux de la « persécution pour la justice ». De creux en creux, vers des creux qui ne seront comblés que quand nous le verrons face à face.
Toutes les autres béatitudes sont au futur. Il y a donc en plus du présent un futur. Le Royaume est là et il vient à nous, de notre avenir, du Christ qui est notre présent et notre avenir, du Christ qui s’est révélé il y a plus de 2000 ans mais aussi du Christ en gloire. Notre présent, la présence du royaume en nous vient de la résurrection du Christ.
L’avenir de notre propre béatitude vient vers nous, vient à nous, vient en nous. À chaque instant, notre présent est visité par l’Esprit qui ne cesse de livrer en nous le Ciel en notre terre.