Chers frères et sœurs de la communauté paroissiale Saint Leu Saint Gilles
Avant-hier, nous avons été près de 36 millions de français à suivre l’intervention du chef de l’Etat quant à la crise que nous vivons. Au fond, il nous demande de persévérer dans nos efforts. La persévérance est la capacité que nous avons à toujours garder l’objectif. Ce mot n’est guère à la mode dans une société du tout, tout de suite. L’exercice de cette qualité ou vertu a-t-il un sens et lequel dans un monde sans objectifs, indéfini, dominé par le provisoire ? Nous devons reprendre ce mot de persévérance et vérifier s’il est vraiment devenu superflu de faire face à la crise (ou les crises) que nous vivons aujourd’hui, et nous demander si c’est précisément ce qui nous manque aujourd’hui et à partir duquel nous pouvons recommencer.
La persévérance est le laboratoire concret de l’espoir. Cela signifie que, dans un certain sens, la persévérance a comme présupposé l’espoir. Nous espérons et nourrissons tous ce sentiment élémentaire qui nous empêche de clore le jeu avant qu’il ne soit fini. Pour que l’espoir passe d’un sentiment générique à une possibilité réelle, il faut le cultiver dans le présent, le faire germer ici et maintenant, au milieu des épreuves et des difficultés. Être persévérant signifie cela. L’espoir est un sentiment, la persévérance est un acte.
Toutefois, saint Augustin parlant de la persévérance rappelle qu’il faut beaucoup se méfier son contraire qu’est la paresse. La paresse, quand on y pense, est le mal de notre temps, car l’excès de stimuli et d’opportunités finit par produire un magma indifférencié de possibilités au sein duquel nous finissons par cultiver l’indifférence et la paresse mentale, toutes choses qui conduisent à un vide intérieur dangereux. Somnolence, évasion et manque de concentration sont les traits caractéristiques des paresseux. Le paresseux type cherche des alibis et trouve de nobles excuses pour échapper à ses fonctions. Pourquoi fais-tu cela ? Parce qu’elle façonne les choses sur les besoins de son ego, qui devient une mesure de leur valeur et de leur être même. Le paresseux s’enferme. « L’amour persévère toujours » nous rappelle l’Apôtre des Gentils, « le paresseux n’en est pas capable ». En bref, nous sommes paresseux lorsque nous nous ennuyons avec l’alibi préventif que cela ne vaut finalement pas la peine.
Que faire pour sortir de l’ennui ? Il faut transformer cette passion (passion au sens grec du terme) en action. Action non au sens de l’activisme, je ne parle pas de l’activisme de ceux qui nourrissent la frénésie du faire sans fin, non. Je parle d’action comme une ouverture au monde et aux autres. La persévérance nécessite une stratégie lente : il s’agit de le faire dans le sens d’explorer les voies du possible. Nous ne pouvons expérimenter le bien possible pour nous-mêmes et pour les autres que si nous nous testons et persévérons. La persévérance est fondamentalement une vertu, une compétence que nous acquérons par l’exercice. La vertu en grec est aretê, de la racine ar, d’où le latin ars, qui signifie action répétée, exercice constant. En ce sens, la persévérance est un art. En fait, rien ne peut être conquis s’il est abandonné. En sommes nous convaincus ?
Les Saintes Ecritures parlent beaucoup de cette qualité qu’elle relie aux vertus de la prudence (la sagesse) et de la tempérance. Les livres de Job et des Psaumes en chantent les louanges. Le Nouveau Testament lui aussi traite de cette persévérance au milieu des tribulations de ce monde (Rm. et Ap.). Elle est la vertu de ceux qui acceptent de tout donner pour leur foi au prix de leur sang. C’est par ta persévérance que tu sauveras ta vie.
Après cette petite réflexion, presque philosophique, qui m’est venue suite à la déclaration du président de la République, je tiens à vous assurer de ma prière. Chaque jour, nous célébrons la messe aux intentions de la communauté paroissiale et pour chacun d’entre vous. Que Dieu Trinité vous protège.
Paris, le 15 avril 2020
Fr. Thierry