Dimanche 22 septembre 2019

Par le père Bernard-Marie GEFFROY


Dieu veut que tout homme soit sauvé.

« Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité. En effet, il n’y a qu’un seul Dieu, il n’y a aussi qu’un seul médiateur entre Dieu et les hommes : un homme, le Christ Jésus, qui s’est donné-lui-même en rançon. »
Quelle phrase importante de Paul à Timothée, reprise par l’enseignement de l’Eglise.
D’abord le désir de Dieu que tout homme soit sauvé.
« S’il est vrai que personne ne peut se sauver lui-même, il est vrai que « Dieu veut que tous soient sauvés » (1 Tim. 2/4) et que pour lui « tout est possible » (Matthieu 19/26) ». (Catéchisme de l’Eglise catholique).
Deuxième affirmation, la croix comme moyen de ce salut.
« D’ailleurs, comme l’Église l’a toujours tenu et comme elle le tient encore, le Christ, en vertu de son immense amour, s’est soumis volontairement à la Passion et à la mort à cause des péchés de tous les hommes et pour que tous les hommes obtiennent le salut. Le devoir de l’Église, dans sa prédication, est donc d’annoncer la croix du Christ comme signe de l’amour universel de Dieu. » ( Nostra aetate)
Le Christ s’est donné en rançon pour sauver l’humanité. Rançon est le mot utilisé par Paul pour dire cette nécessité de la croix. Il fallait payer une rançon. C’est le Christ qui l’a payé par ses souffrances sur la croix. Il a payé. Mais à qui a-t-il payé? Au Père? Nous connaissons tous le mauvais scénario des jansénistes et doloristes en tous genres !
Je résume : « la méchanceté de l’homme a attisé la colère de Dieu. Pour réparer il faut quelqu’un à la hauteur d’un tel affront. Or seul le Fils de Dieu dans sa divine dignité peut éponger la dette et offrir en réparation sa souffrance au Père. » Dire cela, c’est soupçonner Dieu de perversité, c’est oublier que la nécessité de la croix, c’est la nécessité de l’amour.
Mauvais scénario donc mais qui nous a marqué et qui reste inscrit en notre chair.

La parabole de ce dimanche ne traite pas directement de ce problème, cependant il s’agit bien de l’injustice d’un maître face à son gérant malhonnête. Comme le Christ et dans une infinie moindre mesure, le maître est confronté au mal. Sa réaction n’est pas sans rapport avec celle du Christ qui lui a dû affronter la haine, l’humiliation et la mort sans haine et dans le pardon : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. »
La parabole de ce dimanche parle bien d’injustice. Comment se fait-il que le maître non seulement ne condamne pas mais, plus que cela, il félicite l’habileté du gérant malhonnête. C’est là la fameuse provocation que l’on trouve dans chaque parabole. La provocation d’une parabole invite toujours le lecteur au déplacement car il est troublé dans ses repères. Cette invitation au mouvement concerne les trois niveaux de lecture de la parabole :
– premier niveau, le niveau littéral. Nous l’avons dans le commentaire de Jésus. Il invite ses disciples et nous-même à faire preuve d’inventivité, de créativité, d’efficacité dans la lumière, c’est à dire dans la clarté.
– au deuxième niveau d’interprétation, c’est à dire symbolique ou théologique : ll y a une autre justice que la justice humaine, une autre logique que celle de la justice qui réclame une réparation, une rançon, une autre logique que celle du « Il faut payer ». Une autre logique, celle de Dieu qui est la logique de l’amour ?

Dieu est relation. Ce qui constitue l’Être même de Dieu, c’est la relation. Ce qu’est Dieu, c’est la relation à l’autre, relation substantielle disent les théologiens, comme un oiseau qui ne serait que vol, dit le poète. Amélie Nothon, dans son dernier livre sur Jésus, raconte le combat intérieur du Christ. Prenant la place du Christ dans un récit à la première personne du singulier, avec un grand talent, elle imagine, elle imagine et décrit ce que le Christ a pu vivre dans ses derniers moments. Tout d’abord, aucune confiance de Jésus en son Père, ce Père, fait dire Amélie Nothon au Christ, qui ne l’exauce jamais. Dans sa prison, où il attend son exécution, il ne pense qu’à Marie-Madeleine dont il est follement amoureux, il se sent coupable de sa liaison avec elle car son Père lui interdit toute sexualité. La pluie brusquement se met à tomber. Peut-être, l’exécution sera ajournée, peut-être sera-t-il libéré, il pourra alors se marier avec sa Bien-aimée. Amélie Nothon ne perçoit pas la nature divine du Christ et la qualité d’amour infinie, inconditionnelle avec son Père. Elle ne perçoit pas non plus le fruit divin de cet amour qui est l’Esprit Saint. Tout est orienté sur Marie-Madeleine. Jésus est amputé de sa divinité et des relations substantielle avec les deux autres personnes divines. Bien sûr, dans son humanité, le Christ a dû lutter dans cette confrontation avec le mal mais jamais contre son Père, même s’il visite dans cette épreuve un sentiment d’abandon vécu par tant d’hommes dans l’histoire de l’humanité. C’est le cri de Jésus sur la croix : « Père pourquoi m’as-tu abandonné ? » Jésus vrai Dieu et vrai homme apprend, de nous, le malheur et il nous fait passer du malheur au divin. C’est dans le malheur qu’il vient nous chercher, non par masochisme mais par amour.

Dans l’Évangile de Luc de ce dimanche, Jésus commente la parabole. Les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. De quelle habilité s’agit-il ? En fait l’habilité à se faire des amis. L’injustice ne doit pas être obstacle à l’amour. Aimer malgré l’injustice, c’est l’enjeu et il est d’importance, surtout s’il on la relie à la passion. Le seul cœur humain capable de résister à l’injustice et de continuer à aimer, c’est le cœur humano-divin du Christ sur La Croix. L’habileté relationnelle est mise à un point d’incandescence telle que le malheur est définitivement vaincu par l’amour. Fils de lumière sommes-nous certes mais appelés déjà maintenant à aimer ceux qui ne nous aiment pas jusqu’à apprendre d’eux l’habilité de type mafieux mais sans jamais nous compromettre avec le mal.

La réparation qu’opère le Christ, c’est rétablir la capacité relationnelle de l’humanité en son sein, avec Dieu. Chrsit visite le malheur, plonge dans la douleur du malheureux pour y mettre joie d’aimer et d’être aimé.
– dans le troisième niveau d’interprétation, le spirituel dans nos vies, je vous livre une expérience que certains connaissent par cœur mais qui cependant est une illustration très éclairante du désir de Dieu de rejoindre chaque homme aussi perdu semble-t-il. A la prison psychiatrique de Château Thierry, David était classé comme psychotique maniaco-dépressif. Lors d’un groupe biblique, il criait : « On m’a tout pris, ma liberté, ma dignité, mon humanité. On m’a cassé la rotule… » Suit alors une longue liste de tout ce qu’il a subi.
Ne sachant plus comment apaiser sa violence, je lui criai alors :
– David, on vous a donc tout pris, il ne vous reste plus rien.
– Si, hurla-t-il, il me reste ma foi et ça, personne ne me la prendra !
Lors d’une de ses crises maniaques, David avait tout cassé dans sa cellule. Dix gardiens avaient été nécessaires pour le maîtriser et l’emmener au cachot, appelé « mitard ». Il m’avait été impossible d’en franchir la porte que le brigadier-chef refusait d’ouvrir. A travers le judas, David, à ma grande surprise, m’a demandé et a reçu le sacrement de réconciliation. Peu de temps après, je lui apportais la communion. David sortait de ses crises non seulement grâce aux médicaments mais aussi grâce à sa vie spirituelle et notamment sacramentelle. David n’avait plus rien. Quand il disait « ils m’ont tout pris ». C’est cela que l’on pouvait entendre. Il n’avait plus rien sinon cette porte qu’il avait trouvée au fond de lui, ce sanctuaire inviolable qui lui permettait de garder le sens, de ne pas être livré au chaos de son désordre psychologique. David est un cas extrême : grande intelligence, intuition spirituelle étonnante et une telle fragilité que rien n’a de sens sinon survivre et, pour cela, il s’appuie sur son intuition spirituelle. La porte de la vie intérieure qu’il a trouvée et qu’il ouvre parfois lui donne accès à un supplément d’être d’où surgissent des forces capables de cohérence. Au fond de son mitard, au cours de ses crises, au cœur de son incohérence psychologique, il s’oriente et trouve le sens.

Christ est allé juste avant sa Passion au mitard et il continue à y aller dans nos propres mitards. Acceptons que la justice de Dieu ne soit pas une rançon à payer mais l’ajustement en Dieu de notre humanité blessée que Dieua épousé en Christ seul médiateur de notre salut. Encore faut-il accueillir notre rédemption dans la foi, l’espérance et la charité.