Trois mots en dialogue peuvent esquisser le portrait de Marie-Thérèse. Des mots qui s’ajustent à elle comme on ajuste un vêtement ? Ces trois mots, c’est authenticité, simplicité et bonté.
Ces mots déclinés ensemble rendent compte de sa capacité à l’amour, au relationnel ?
Simplicité : tout le contraire de la toute-puissance ! L’Ecriture dit que le cœur de l’homme est malade et compliqué. Vouloir se simplifier est un long chemin. C’est un désir, une perspective qui s’ouvre à nous sur cette route de purification. Sur cette route, une action de Dieu est nécessaire pour prendre conscience de ce qui est compliqué en nous, le nommer et l’ouvrir à l’action de l’Esprit Saint qui nous libère de tout ce qui fait obstacle.
Bonté : tout le contraire de l’emprise sur l’autre ! Oui mais comment vivre et faire vivre de cette bonté quand on a un tempérament bien trempé et que l’on ne mâche pas ses mots. Encore une fois, le travail de Dieu ! L’être humain est capable de comprendre le désir de Dieu de transformer notre cœur, d’élargir notre espace intérieur et de faire grandir notre capacité d’aimer. Travail de Dieu mais pas sans notre collaboration. Marie-Thérèse s’est laissée transformer dans la sécurité et la lumière de l’amour divin.
Authenticité: tout le contraire de la duplicité ! Les québécois diraient : il n’y a pas de cachette en elle. Il n’y avait pas de cachette en Marie-Thérèse.
Comment peut on aller jusque là ? A cette épure là ? Quel est le secret de Marie-Thérèse ?
Réponse : la vie intérieure.
La vie intérieure pour Marie-Thérèse : une respiration vitale qu’elle n’a jamais abandonné. Dieu dans sa vie, voilà son oxygène. Tant de bonté, tant de simplicité, tant d’authenticité, c’est le fruit d’une intériorité reliée à la source. Marie-Thérèse a cherché toute sa vie cette source. Dire qu’elle a cherché Dieu est une évidence, elle l’a même cherché dans la vie religieuse. L’a-t-elle trouvé ? « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais pas déjà trouvé. » Cette phrase de Saint Augustin tirée des confessions donne le tempo et invite au mouvement, au déplacement. Dieu sait combien Marie-Thérèse s’est déplacée. Géographiquement avec son expérience d’enseignante au Liban. Spirituellement, le passage de la vie religieuse à la suite du Christ en pleine pâte humaine. De la vie active à une retraite non moins active. De la santé à la maladie. Le secret de Marie-Thérèse : la profonde intimité avec le Christ. Le Christ qui vit en elle, dans sa vie intérieure mais aussi le Christ présent d’une certaine manière dans ceux qui sont prisonniers, malades, nus, affamés…
C’est la raison du choix des deux textes que nous avons entendus: un passage du chapitre 2 du livre d’Osée. Ce premier texte est une magnifique déclaration d’amour de Dieu à Israël.
« En ce jour-là, oracle du Seigneur… Je ferai de toi mon épouse pour toujours, je ferai de toi mon épouse dans la justice et le droit, dans la fidélité et la tendresse ; je ferai de toi mon épouse dans la loyauté, et tu connaîtras le Seigneur. »
Ensuite le texte de Mathieu au chapitre 25 qui est une magnifique bénédiction de Dieu pour tous les bons samaritains.
« J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !”
Magnifique bénédiction et non moins magnifique conclusion:
“Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.”
Marie-Thérèse était à l’aise dans tous les milieux, ouverte à tous.
Pour arriver en vérité à être tout à tous sans acception de personnes, dans tous les milieux, Marie-Thérèse a dû poser un acte de foi : en tout être, la bonté et même la beauté existent comme déjà là, peut-être non encore intégrées mais disponibles, parfois profondément enfouies, à peine visible mais perceptibles si notre regard cherche dans cette direction.
Ce que Marie-Thérèse cherchait à vivre dans ses relations d’aide, c’est écouter l’autre dans le meilleur de lui-même et en tout être aussi défiguré qu’il soit. Cette phrase de Nouwen me semble décrire le travail qu’elle a fait.
Comment saisir dans la nuit la lumière déjà présente et qui vient ?
« Comment pouvons-nous déterminer l’heure de l’aube, le moment où la nuit cède la place au jour ? »
[Le sage répond alors :] c’est lorsque vous pouvez regarder le visage d’un autre être humain et qu’il y a en vous suffisamment de lumière pour reconnaître en lui votre frère ou votre sœur. »
Marie-Thérèse aimait les enfants. Je laisse la parole à Béatrice : « Marie-Thérèse et mon fils étaient devenus de vrais amis. Nous les appelions Harold et Maud. (je suppose à cause de la différence d’âge). Le petit Paul avait 8 ans et n’a jamais cessé de lui envoyer des textos. Il a quinze ans maintenant et c’est elle qui lui a donné les méthodes de travail qui ont fait de lui un excellent élève. Elle jouait avec lui. Ils s’amusaient beaucoup. Par exemple des jeux de rôle où chacun incarne un personnage. Elle était très moderne avec une connexion facile avec les enfants, sans pour autant faire semblant d’en être un. »
Quels sont les lieux où Marie-Thérèse s’est exercée à l’art d’aimer ?
La paroisse Saint Eustache, la paroisse Saint Leu, la vie religieuse, sa mission d’enseignante ont été autant de communautés, autant de petits laboratoires où s’expérimente l’art de l’autre. Sommes-nous des communautés idéales ? Certes non ! Mais nous sommes des communautés réelles dans lesquelles on vit et où la confrontation à l’autre invite à arrondir les angles comme les galets qui s’entrechoquent sous l’effet de la mer. Une communauté composée d’ « égos sans relation à l’intériorité et à la Transcendance » est une communauté livrée aux désirs opaques du cœur de l’homme Une communauté spirituelle est une communauté qui se reçoit de l’Esprit Saint et renonce à l’illusion d’une communauté idéale. Renoncer à l’idéalisation de toute communauté, c’est accepter de se recevoir d’une autre perfection que de l’illusoire perfection humaine. Se recevoir de la perfection d’amour en Dieu, celle de l’Esprit saint est un véritable enjeu. Nos communautés ne sont pas des communautés idéales mais elles sont appelées à faire le passage vers plus de souffle dans l’Esprit, plus de consentement au réel (des-idéalisation), plus de simplicité (les autres me simplifient si j’y consens), plus d’altérité (purification de l’affectif), plus d’humilité (renoncement à mes schémas mentaux quelque peu formatés). Tout cela se fait souvent dans une souffrance comparable à celle de l’accouchement. Accoucher d’une plus grande liberté intérieure, d’une plus grande capacité à aimer, accoucher de la vie profonde ne peut se faire que dans le souffle de l’Esprit Saint. C’est ce dont toutes les communautés qui se disent chrétiennes sont invitées à vivre dans de plus justes relations.
La juste relation invite à ôter les masques et à se laisser désarmer devant le Seigneur. C’est ce que Marie-Thérèse a radicalement dû faire à la fin de sa vie. Paradoxe que d’avoir à se battre contre la maladie en se désarmant devant le Seigneur pour lui laisser la place. C’est Lui qui a combattu pour Marie-Thérèse. Pas sans elle bien sûr. Plusieurs aller et retour à Jeanne Garnier pour être vraiment désarmée, à la manière du patriarche Athénagoras quand il dit : « Il faut mener la guerre la plus dure contre soi-même. Il faut arriver à se désarmer. J’ai mené cette guerre pendant des années, elle a été terrible.
Mais maintenant, je suis désarmé. Je n’ai plus peur de rien, car l’amour chasse la peur…
J’accueille et je partage. C’est pourquoi je n’ai plus peur. Quand on n’a plus rien, on n’a plus peur. Si l’on se désarme, si l’on se dépossède, si l’on s’ouvre au Dieu-Homme, qui fait toutes choses nouvelles, alors, Lui, efface le mauvais passé et nous rend un temps neuf où tout est possible. »
P B.M Geffroy