De blessures à blessures.
Thomas appelé Didyme (le Jumeau) fait partie du petit groupe de ces disciples que Jésus a choisis, dès les premiers jours de sa vie publique, pour en faire ses apôtres. Il est « l’un des Douze » comme le précise saint Jean. Le même Jean nous rapporte plusieurs interventions de Thomas, qui nous révèlent son caractère. Lorsque Jésus s’apprête à partir pour Béthanie au moment de la mort de Lazare, il y a danger et les disciples le lui rappellent : « Rabbi, tout récemment les Juifs cherchaient à te lapider. » Thomas dit alors aux autres disciples : « Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui. » Courageux Thomas qui comme Pierre donnerait sa vie pour mourir avec Jésus.
Lors du dernier repas, lorsque Jésus annonce son départ, c’est lui qui pose la question : »Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment saurions-nous le chemin ? » – « Je suis le chemin, la vérité et la vie », répond Jésus. C’est grâce à ses questions et à ses doutes que Thomas, doit sa célébrité. Il n’était pas là, lors de la première visite de Jésus ressuscité. Le voici qui revient d’on ne sait où : « Nous avons vu le Seigneur ! » lui dit-on. « Si je ne vois pas dans les mains la marque des clous, si je ne mets pas ma main dans son côté, non, je ne croirai pas. » Pour la postérité, Thomas a reçu le qualificatif d’Incrédule.
On pourrait dire que c’est grâce à son incrédulité, à son esprit rationnel, qui ne croit que ce qu’il a vérifié, que nous devons la certitude qui nous habite. C’est plus spirituel que cela ! N’oublions pas la belle profession de foi de Thomas qui, devant le mystère des plaies du Christ ressuscité, a donné à Jésus son véritable titre. Pour confesser sa foi en Jésus, il s’écria : « Mon Seigneur et mon Dieu. »
C’est vrai qu’avant cela, il a posé beaucoup de questions. Cependant il n’a pas épuisé les questions. Nous en avons tous ! Je vous livre les miennes :
Pourquoi Thomas fait une fixation sur les plaies de Jésus en exigeant pour croire de les toucher ?
Quand Jésus vint alors que les portes du lieu où les apôtres se tenaient étaient fermées par crainte des Juifs, Thomas n’est pas là. A-t-il peur ? A cause de son absence, il n’a pas entendu le Seigneur dire recevez « l’Esprit Saint » ? Il n’a pas reçu le souffle de Jésus contrairement aux autres ? A-t-il vraiment reçu l’Esprit Saint ?
Quand Jésus ayant montré ses plaies dit cette phrase à Thomas : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu », sous-entendrait-il que nous sommes plus heureux que Saint Thomas, qui lui a cru parce qu’il a vu ? Thomas se fixe sur les blessures du Seigneur. Il aurait pu exiger pour croire de croiser le regard de Jésus, d’entendre sa parole, de revivre l’émotion suscitée par ses miracles. Thomas a peur : peur de ne pas connaître le chemin. : »Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment saurions-nous le chemin ? », peur de la mort, lui qui veut mourir avec Jésus : paradoxe de celui qui a tellement peur de devoir mourir, qu’il fait le fier devant la mort mais n’oublions pas qu’il s’est enfui lors de la Passion. Thomas a peur de ses propres blessures. Thomas souffre comme les disciples d’Emmaüs qui ne reconnaissent pas Jésus ressuscité parce que trop remplis d’amertume, de frustrations, de déceptions, « nous qui croyions qu’il allait délivrer Israël ». Thomas blessé, encombré par la farandole des émotions négatives qui s’agitent en lui, a fait une fixation sur les plaies de Jésus.
Pour nous qui n’avons pas vu Jésus ressuscité mais à qui a été transmise la Bonne Nouvelle de la Résurrection, à nous qui avons non seulement reçu le baptême, mais les autres sacrements que l’Eglise primitive appelait « photimos », c’est-à-dire illumination, savourons cette béatitude que Jésus nous adresse. Heureux sommes-nous car nous sommes passés des ténèbres à la lumière.
J’aime rappeler la question du vieux Père Paul. Il se demandait si Thomas avait touché les plaies de Jésus. Pour lui, le cri de Thomas « Mon Seigneur et mon Dieu » l’a fait passer du raisonnement au cœur profond là où se trouve l’intelligence spirituelle, en fait la Sagesse. C’est du fond de son être que jaillit son cri, « Mon Seigneur et mon Dieu ». De blessures, celle de Jésus, à blessures, celles de Thomas, une illumination. Thomas en présence du Christ ressuscité fait l’expérience de l’Esprit Saint qui est en lui, qui jaillit et le libère de tous ses blocages, peurs, enfermements, frustrations, déceptions, culpabilité, etc…
Le bonheur de Thomas, c’est notre bonheur si nous voulons « croire sans avoir vu ».
Nous croyons que les blessures de Jésus sont le signe de l’infinie miséricorde de Dieu. Il a visité en Christ notre misère. Dans ses blessures nous sommes guéris. Encore faut-il les nommer, travailler nos propres blessures. Les sacrements sont guérissants. Les pères de l’Eglise voyaient dans l’eau et sang qui ont coulé du côté transpercé du Christ comme le symbole des sacrements. Depuis Saint Augustin, confirmé par Vatican 2, l’Eglise du Christ ne se réduit pas à ceux qui reçoivent les sacrements. Dieu veut que tout homme soit sauvé et il répand sur tout homme de bonne volonté l’eau et le sang de son baptême sur la croix. J’ai un ami d’enfance qui vient de mourir. Je vous livre un passage du texte que j’ai écrit pour lui. Il était éducateur de rue, passionné par la voile, en perpétuel recherche sur la question de la foi. « Michel, tu savais accueillir les rêves certes mais aussi les questions métaphysiques. Toutes ces questions que l’enfant, à peine muni du langage fraîchement acquis, ne cesse de poser. Tout part de cette question, « qui suis-je ? » Ce questionnement t’a suivi toute ta vie. Pourquoi suis-je là sans n’avoir rien demandé ? Etc … etc… inévitablement, ces questions, débouchent sur le sens de la vie et donc de ce qui est à l’origine de la vie. Qui est l’Auteur de la vie ? Personne pour certains, un mystère insoluble pour d’autres, sûrement quelqu’un qui nous veut du bien pour d’autres. Ces questions métaphysiques, tu les as portées toute ta vie, questions jamais résolues, toujours en mouvement, questions incontournables quand Laurent, ton fils après une crise d’asthme est tombé dans le coma. Je l’ai baptisé, confirmé dans le service de réanimation du CHU de Caen.
Pourquoi Michel as-tu fait une telle demande ? Réaction de survie dans le cœur d’un père blessé qui pense que Dieu, s’il existe, peut opérer un miracle. Pour moi, le miracle, c’est maintenant. Michel, tu retrouves ton fils après la profonde blessure de sa mort. Tu vis les retrouvailles de ceux qui se sont aimés et qui se retrouvent au- delà de la mort physique. Tu as tenu la barre Michel, affronté les vents contraires. Pour moi, tu es dans la lumière, toujours en mouvement, de commencement en commencement vers des commencements qui n’en finiront jamais. »
Le miracle que nous fêtons en ce temps pascal, c’est le miracle de la victoire de la vie sur la mort. La miséricorde de Dieu, c’est l’Amour de Dieu sur la Croix. La mort de l’être aimé est une immense souffrance mais elle ne nous menace plus de la même manière. Par Amour, sur la Croix, la mort a été intégrée dans la puissance de vie de la Résurrection. Et c’est déjà maintenant.