Bartimée
Si l’on compare Bartimée et le jeune homme riche, quel contraste :
– pas d’insistance sur l’identité du jeune homme riche. Pour Bartimée, au contraire grande insistance sur son identité. Mais oui le fils de Timée, Bartimée !
Autre différence :
– aucune exigence de la part de Jésus pour Bartimée.
Seulement comme une évidence qu’il peut le suivre alors que le jeune homme riche s’en va tout triste.
Jésus suivi des disciples et d’une foule, précise Marc, entame la dernière étape avant Jérusalem.
Pour la troisième fois Jésus a annoncé sa Passion « Le Fils de l’homme est venu non pour être servi
mais pour servir et donner sa vie en rançon (libération) pour la multitude ».
Jésus s’apprête à rentrer dans la nuit de Gethsémani, dans les profondes ténèbres de sa Passion.
Lui la lumière comme le raconte St Jean dans son Evangile est confronté aux ténèbres.
« Il nous faut réaliser l’action de celui qui m’a envoyé, pendant qu’il fait encore jour ;
déjà la nuit approche, et personne ne pourra plus agir.
Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. »
Lumière et ténèbres se confrontent. Amour et haine, vie et mort s’affrontent.
Cet aveugle est déjà le symbole anticipé de la victoire de la vie sur la mort, de l’amour sur la haine.
Il est connu cet aveugle dans la première communauté chrétienne. Dans la prédication apostolique
de la toute première Eglise, C’est une invitation à aller rencontrer le très connu Bartimée ;
allez le voir, lui-même vous racontera comment il a bondi à l’appel du Christ.
Il vous dira qu’il avait entendu, du fond de sa nuit, au creux de sa misère comme un appel,
un appel capable de le faire crier éperdument. Bartimée ne voit pas, et cependant,
il a perçu par ouï-dire la présence de Jésus. Grâce au bouche à oreille, certes, mais surtout,
il l’a entendu au fond de son cœur et il a crié sa souffrance et son espérance.
Il s’est époumoné jusqu’à friser le ridicule, jusqu’à agacer, jusqu’à ce qu’on le rabroue
et qu’on lui demande de se taire. Mais Jésus l’entend, l’appelle.
Demandez à Bartimée, il vous dira comment il a jeté son manteau, bondit et courut vers Jésus.
Sûrement, vous parlera-t-il de l’importance de contacter au cœur de sa nuit, de toute nuit, un désir ;
le désir de voir, le désir de lumière. Oui en nous, au fond de notre cœur,
parfois enfouie profondément, il existe comme un pressentiment de la lumière. Le voyant, le croyant,
c’est celui qui sait discerner les lueurs de l’aube
alors qu’il est encore dans la nuit.
Dans la souffrance de sa solitude, Bartimée a découvert la présence bienveillante du Seigneur
à ses côtés. Il a si bien appris à la connaître au cœur de sa nuit, qu’il la reconnaît tout de suite
quand Jésus passe sur le chemin. Pour lui, nul besoin d’un « va, vends tout ce que tu as » :
Déjà, il jette de lui-même son manteau, c’est-à-dire tout ce qu’il a.
Il renonce ainsi à ce qui faisait sa sécurité. Il abandonne sa carapace, ses protections,
Il jette ce qui l’abritait du froid de la nuit et du regard des hommes. Il se montre vulnérable et,
lui qui est aveugle, il marche vers Jésus avec assurance. Mais Jésus retarde un peu la guérison,
car il veut que Bartimée recouvre pleinement sa dignité.
Il lui demande donc d’exprimer lui-même ce qu’il souhaite. « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » ;
« Seigneur, que je voie ! ». D’une voix assurée, on l’a vu, debout, sans assistant, sans protection,
ne s’appuyant que sur la parole de Jésus, il supplie : Que je vois ! ».
La Parole a dirigé sa marche, elle contient son espérance, elle opère à présent sa guérison.
L’homme, debout et parlant, est donc sauvé par la foi qu’il a mise en Jésus. « Va », sa dignité
et sa liberté lui sont rendues.
Comme Bartimée, sachons reconnaître nos nuits :
– nuit du monde, nuit des conflits actuels qui bouleversent et agitent l’actualité,
nuit de l’épuisement de la terre.
– Nos nuits personnelles, familiales, professionnelles, relationnelles.
Comme Bartimée, sachons suppliez « Jésus, aie pitié ».
Comme Bartimée, sachons écoutez l’appel de Jésus qui s’arrête et dit : « Appelez-le… »
Comme Bartimée, sachons comprendre et exprimer notre vrai désir : « Fais que je vois »
Comme Bartimée, renouvelons notre manière de vivre : « il chemina à sa suite »
Bartimée va fonder sa nouvelle vie sur sa rencontre avec le Christ.
Fort de sa rencontre avec le sens de sa vie, il va maintenant cheminer à la suite du Christ.
Quel contraste avec le jeune homme riche dont on ne connaît pas le nom !
L’homme riche n’y a pas participé car il n’a pas été touché au fond de son être.
Bartimée, oui ! Sa réponse à l’appel de Jésus est ce saut dans la foi si bien décrit par l’évangéliste :
au cœur de la suite du Christ, il y a la rencontre vital avec lui.
Au cœur de cette rencontre, un don : celui de l’Esprit reçu dans une rencontre personnelle
avec le Christ.
En connaissez vous des Bartimées ? Pas forcément des aveugles, parfois des personnes qui enfants ont été piétinées, meurtries , humiliées et qui se débattent dans leur nuit de souffrance.
Je raconte dans mon livre, des récits de résilients, des récits de Bartimées, des résilients qui s’appuient sur la foi en Christ mort et ressuscité pour rebondir et se mettre debout.
Je terminerai mon homélie sur un exemple de récit qui n’est pas dans mon livre. Très récemment, j’ai co-animé une session pour des femmes qui ont été abusées enfants.
Comme Bartimée, une des démarches, au cours de ce séjour, a consisté à interpeller Dieu lui-même. Tout le groupe, deux prêtres, des psychologues pour rassurer, mettre en confiance, leur donner le droit de crier, comme Bartimée. L’enfant quand il est piétiné fait l’expérience de l’absence de Dieu. Il déconnecte de son corps, de ses sens et fait l’expérience douloureuse de la rupture sensible avec Dieu lui-même. Dire son incompréhension à Dieu, vécu par l’enfant comme absent, indifférent est une première étape. Ecrire, crier devant la croix, y coller le texte ou le dessin qui exprime l’incompréhension, le ressentiment et même la colère vis à vis de Dieu est libérateur. Une autre démarche, encore plus douloureuse mais aussi libératrice, c’est l’expression, de la colère aux prédateurs, aux bourreaux. Crier là aussi, déchirer du papier, du carton, du polystirène, frapper avec une batte de base-ball sur un immense carton rempli de chiffons, tout en interpellant le bourreau a été douloureux certes mais toutes se sont senties plus légères.
Comme pour Bartimée, il fallait être en sécurité : un groupe et le Christ lui-même. Nous avons repris tout cela le soir même dans la méditation des textes de Gethsémani et de la Passion. Dieu ne veut pas de la souffrance innocente et scandaleuse. « Que cette coupe s’éloigne de moi. » A Gethsémani, Jésus s’appuie sur Jacques, Jean et Pierre qui sont accablés dans cette nuit obscure. Puis la phrase du Christ, non pas ma volonté mais ta volonté. Pour Dieu, sans idée du mal, impossible de comprendre le scandale du mal innocent mais justement en Jésus, Dieu visite ces ténèbres pour que la lumière, ne manque jamais à l’enfant innocent, même si c’est de nuit. Au creux de la blessure, la lumière. C’est cette lumière qui a permis à Bartimée de bondir.
C’est cette lumière qui fait que ces femmes, jetées enfants dans les ténèbres puissent rebondir et entendre ces mots que je dis souvent quand c’est possible : Dieu craque d’amour pour tous les enfants piétinés, Dieu craque d’amour pour vous.
Que dans cette Eucharistie, nous puissions nous laisser aimer par ce Dieu d’amour libérateur et guérissant.