Ouverture du cardinal André Vingt-Trois
Frères et Sœurs,
C’est une joie pour moi de célébrer avec vous ce matin le jour du Seigneur, le jour de la Résurrection, qui voit les chemins se réunir à travers le monde pour faire mémoire de la victoire du Christ sur la mort et de la parole qu’il nous adresse aujourd’hui, du Pain de vie qu’il nous partage.
Evidemment, nous célébrons cette eucharistie en communion avec le Saint Père, le Pape François qui célèbre ce matin à Bethléem, en communion avec tous nos frères chrétiens qui vivent au Moyen-Orient, et aussi nous prions que ce voyage du Pape soit perçu comme un signe de rencontre, de dialogue et de paix entre les religions, et un signe de force pour tous nos frères et sœurs de cette région tellement éprouvée dans la foi.
Homélie du Cardinal André Vingt-Trois
– Ac 8, 5-8.14-17 ; Ps 65, 1-7.16.20 ; 1 P 3, 15-18 ; Jn 14, 15-21
Frères et Sœurs,
Nous pouvons entendre cette lecture de l’évangile de saint Jean de deux manières différentes. Le premier registre correspond à celui où Jésus lui-même a prononcé ces paroles avant sa Passion, de façon à préparer ses disciples à l’épreuve qu’ils vont connaître par sa mort, à leur annoncer qu’il ne les abandonnera pas et qu’il reviendra vivant. C’est ce qu’ils constateront par les apparitions du Ressuscité lorsqu’il sera présent au milieu d’eux. Mais si la liturgie nous propose d’entendre ce passage de l’évangile à quelques jours de l’Ascension, c’est aussi parce que nous sommes invités à le situer dans un autre registre de temps. Celui-ci n’est plus le temps où il a été prononcé au milieu des disciples, mais c’est notre temps, ce temps que nous vivons, celui durant lequel nous devons affronter des situations que les disciples eux-mêmes ont connues. C’est le moment où Jésus disparaît à leurs yeux. Ils ne le voient plus, et ils vont se retrouver seuls. Après l’Ascension, Jésus n’est plus au milieu des siens, personne ne le verra plus. Les disciples – et l’Église avec eux – entrent après le retour du Christ auprès du Père, dans le « corps » de la foi. Ils sont confrontés à une nouvelle situation. Que vont-ils devenir ? Au moment de la Pentecôte, les Actes des apôtres nous diront que les disciples se sont rassemblés dans la chambre haute et qu’ils se sont enfermés par peur. C’est ce qui guette tous les disciples de Jésus : se retrouver sans lui. Comment vit-on sans lui ? Que signifie cette absence ?
Dans cette temporalité de l’histoire de l’humanité, après l’Ascension du Christ, nous devons entendre sa promesse : « je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous. D’ici peu de temps, le monde ne me verra plus, mais vous, me verrez vivant, et vous vivrez aussi » (Jn 14, 18-19). Comment pouvons-nous comprendre cette promesse du retour du Christ, cette promesse de sa présence active au milieu des disciples ? La réponse apparaîtra pleinement au moment de la Pentecôte par le don de l’Esprit Saint, « l’autre Défenseur qui sera toujours avec vous » (Jn 14, 16). Ce Défenseur, Jésus lui-même nous l’envoie pour participer à la vie de ceux qui croient en lui. Nous le connaissons parce qu’il est au milieu de nous et en nous. « Vous le connaissez, parce qu’il demeure auprès de vous et qu’il est en vous » (Jn 14, 17). Nous sommes invités par cette parole du Christ à comprendre le temps que nous vivons, non pas comme le temps de l’absence du Christ mais comme le temps de sa présence d’une autre façon. Présent au cœur des croyants, il demeure en nous ; présent dans la vie de l’Église, il produit les signes du salut, comme nous le rappelait le Livre des Actes des apôtres, « tous entendaient parler des signes que Philippe accomplissait, ou même ils les voyaient » (Ac 8, 6). Ces signes, c’étaient la délivrance des esprits mauvais, la guérison des maladies et des infirmités, autant de signes du salut que Dieu apporte à l’humanité et qui provoquent dans la ville de Samarie une grande joie. Nous savons que cette ville de Samarie a été évangélisée par Jésus quand il a rencontré la Samaritaine et qu’il lui a annoncé la vie. Ainsi, l’Esprit produit ces signes du salut au cœur de l’Église : il engendre la foi en nos cœurs et la certitude que Dieu n’abandonne pas son peuple, il produit la capacité de témoigner du Christ. « C’est le Seigneur Jésus-Christ que vous devez connaître dans vos cœurs,… être toujours prêts à vous expliquer devant tous ceux qui vous demandent de rendre compte de l’espérance qui est en vous » (1 P 3, 15). L’Esprit du Christ qui habite en nos cœurs est celui qui nous rend capables de rendre compte de cette espérance, non pas dans un esprit de provocation ou de prosélytisme, mais dans la « douceur et le respect ». C’est la condition des chrétiens que nous connaissons et que nous essayons de vivre. Habités par la parole du Christ, par son Esprit, fortifiés par les signes de la charité que notre Église est appelée à donner à travers nos relations dans tous les domaines de notre existence, en particulier par rapport à celles et ceux qui sont les plus éprouvés de notre société, nous sommes appelés à rendre compte de l’espérance qui est en nous en rattachant explicitement notre mode de vie à la foi au Christ. « Il vaudrait mieux souffrir pour avoir fait le bien,…, plutôt que pour avoir fait le mal » (1 P 3, 17). C’est dans la mesure où les gens qui nous entourent peuvent être témoins de ce que saint Paul appelle dans l’une de ses épîtres, les bonnes œuvres que Dieu a préparées pour nous, c’est-à-dire des fruits de l’Esprit à travers notre vie, qu’ils peuvent s’interroger. D’où leur vient cette manière de vivre ? D’où leur vient cette capacité d’assumer les contraintes de l’existence sans défaillir ? D’où leur vient le dynamisme de ne pas s’enfermer dans leurs propres problèmes mais d’être capables d’aller au-devant des autres et de se mettre au service des autres ? D’où leur vient cet amour vivant qui les anime ? C’est dans la mesure où nous laissons l’Esprit Saint convertir nos cœurs à cet amour du Christ pour les hommes, que nous sommes emportés au-delà de nos limites, au-delà de nos faiblesses, au-delà de nos résistances et de nos pauvretés et que nous devenons capables de partager avec les autres ce que nous avons nous-mêmes reçu : la volonté de construire un monde plus humain et plus fraternel. C’est dans cette mesure que nous devenons vraiment témoins du Christ.
Aussi, en ces jours où nous allons célébrer l’Ascension, où nous nous préparons à célébrer la Pentecôte, nous prions avec confiance et avec foi pour que la plénitude de l’Esprit habite nos cœurs, pour qu’elle ravive en nous la vie du Christ, pour qu’elle nous associe le plus étroitement possible à sa présence par l’accueil de sa parole et par la célébration des sacrements. Nous prions pour que l’Esprit donne à l’Église la plénitude de sa dimension et de sa mission. Nous prions pour que ceux qui nous regardent vivre puissent se dire : d’où leur vient cet amour dont nous bénéficions ? D’où leur vient cette fidélité qui est si difficile à vivre ? D’où leur vient cette joie qui emplie leur existence ? Amen.